La politique publique de l’apprentissage et de la formation professionnelle a été profondément transformée par la loi du 5 septembre 2018 pour "la liberté de choisir son avenir professionnel". L’objectif affiché était d’en rationaliser l’organisation et d’en favoriser le développement, grâce notamment à des dispositifs de formation et d’apprentissage rénovés. L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF) viennent de publier un rapport sur "les conséquences financières de la réforme sur le financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage" de 2018. Qu’en est-il ?
Le déficit de France Compétences
France compétences, nouvel établissement public administratif créé au 1er janvier 2019 par regroupement de quatre institutions préexistantes, est devenue l’autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Elle est chargée de la répartition des ressources et du financement des dispositifs de formation. Elle finance des dispositifs par l’intermédiaire d’acteurs tels que les opérateurs de compétences (Opco) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Elle a également pour mission de favoriser l’émergence des bons prix de marché, notamment par la régulation des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage. France compétences est enfin chargée de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’offre de formation, notamment par la gestion du répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).
On estime néanmoins que l’année 2020 sera marquée par un solde de trésorerie négatif de 1,5 milliard d’euros et d’un besoin de financement d’environ 260 millions d’euros. Des mesures proposées par le rapport devraient permettre de répondre à ce besoin urgent de financement. Malgré tout, le bilan comptable de France compétences devrait faire état d’un résultat négatif de 5,4 milliards d’euros, intégrant la reprise du stock des contrats d’apprentissage.
L’argent public au secours de l’apprentissage
750 millions d’euros ont été fléchés vers France compétences dans le cadre du plan de relance. Cette somme permettra aux opérateurs de compétences de garantir la prise en charge des frais de formation des apprentis dans les CFA et de soutenir la politique de l’apprentissage dans le contexte de crise.
Après un premier emprunt de plus de 400 millions d’euros, France compétences avait validé un nouvel emprunt de 1,5 milliard pour garantir les deux exercices 2020 et 2021…
Des économies au détriment de la formation initiale !
Les auteurs proposent donc 20 mesures d’économies pour une réforme de l’apprentissage. Les propositions du rapport sont de 3 ordres :
- régulation des niveaux de prise en charge ;
- modification du financement des opérateurs de compétences (OPCO) ;
- mesures budgétaires.
Malgré des mesures d’urgence, à plus long terme, l’équilibre financier de la réforme demeure incertain. Il pourrait s’améliorer grâce à plusieurs facteurs de rééquilibrage notamment liés à une baisse des coûts moyens de formation des apprentis et des salariés et à la meilleure employabilité des personnes formées.
L’une des principales inquiétudes réside dans les mesures de transfert de crédits budgétaires et notamment le "déport attendu d’une partie des effectifs scolaires vers l’apprentissage", par redéploiement principalement depuis le budget de l’Éducation nationale. En clair, il s’agit de transferts budgétaires annuels de l’ordre de 160 millions d’euros, soit l’équivalent de 1 850 temps pleins (ETP). Pour parvenir à cette évaluation, le rapport a estimé le nombre d’élèves par enseignant et le nombre d’ETP d’enseignants susceptibles d’être libérés par le transfert d’élèves du secondaire vers l’apprentissage...
L’avis du SE-Unsa
Développer l’apprentissage ne doit pas se faire à n’importe quel prix.
La crise sanitaire a rendu la situation particulièrement tendue mais il ne s’agirait pas de démanteler méthodiquement la formation initiale sur les niveaux CAP et Bac pro pour sauver une voie de formation qui peine à s’imposer depuis une quinzaine d’années.
Les chiffres sont en trompe l’œil. En effet, les différents plans successifs ont vu une augmentation significative de l’apprentissage essentiellement dans les formations post-bac avec le concours des régions.
Pour le SE-Unsa, l’emploi doit être maintenu en voie professionnelle afin d’améliorer le taux d’encadrement et l’accompagnement des élèves les plus fragiles.
Enfin, le rôle et l’architecture de France compétences doivent être revus. Le déficit chronique de cet établissement ne saurait s’inscrire dans le temps au risque de mettre en péril la formation de nombreux jeunes.
Les difficultés qui s’annoncent montrent également les dérives de la libéralisation du marché de la formation. Une politique cohérente de l’offre globale de formation ne peut se tenir qu’avec des moyens à la hauteur et dans une logique de complémentarité.